Session #3 ― Mulhouse 2022
La Session #3 du Prix Mentor 2022 - Mulhouse, en collaboration avec la Biennale de la Photographie de Mulhouse, s'est déroulée le 18 Juin 2022 à Mulhouse au Séchoir
25 rue José Hofer à 16h.
Nous avons le plaisir de vous annoncer que le prix du jury est attribué à Camille Nivollet avec sa série Instruction (en cours), et le prix du public, à Nanténé Traoré, avec sa série Tu vas pas muter. Ils participeront à la finale du Prix Mentor 2022, qui aura lieu à la Scam (Paris) le 8 décembre.
Nous remercions les membres du jury qui ont donné leurs temps et expertise. Pour cette session nous avons eu le plaisir d’accueillir :
- Anne Immelé, Photographe curatrice
- Patrick Cockpit, Administrateur Freelens
- Steven Wassenaar, Administrateur de la Scam
Merci à tou·te·s les autres candidat·e·s qui ont participé à cette session pour la qualité de leur travail :
- Albin Brassart, A Land
- Benjamin Bechet, Bêtes Bois Lieux
- Benoît Durand, Z Rocks
- Chiara Indelicato, Peau de Lave
- Alexis Manchion, Têtes froides
© Camille Nivollet Finaliste du Prix du jury Mentor 2022 Mulhouse
© Nanténé Traoré Finaliste du Prix du public Mentor 2022 Mulhouse
FINALISTE DU JURY : CAMILLE NIVOLLET AVEC SA SÉRIE INSTRUCTION (en cours)
« Enfance sauvage », éduquer autrement sur le territoire français (en cours)
« Pour continuer l’instruction en famille, nous avons décidé en juillet dernier de quitter notre maison pour vivre en bus afin d’obtenir le statut d’itinérant », déclarent Céline et Olivier.
Depuis août 2021, la loi concernant l’instruction en famille, appelée aussi « école à la maison », a durci les conditions d’accès à celle-ci en la rendant dérogatoire. Dès la rentrée prochaine, l’État pourra refuser aux familles d’instruire leurs enfants. Elles se retrouveront alors contraintes, soit de mettre leur enfant à l’école, soit d’adapter leur mode de vie pour qu’il colle avec les critères d’acceptabilité fixés par l’Etat. En France, l’instruction des enfants
est obligatoire de 3 à 16 ans.
Démarré en février 2022, ce projet documentaire en cours s’intéresse aux enfants et aux familles qui font eux-même leur éducation sur le territoire français. « Chaque famille est un petit laboratoire de recherche en pédagogie » (Dona*).
Qui sont-ils ? Quelles sont les raisons de ce choix ? Quel regard ces familles portent-elles sur l’éducation, ses enjeux et sur l’enfance ? Comment les enfants rencontrent-ils les autres en dehors de la cours de récréation et du cercle familial ? Comment se construisent-ils au sein de la famille et en dehors ? Quel avenir pour ses enfants ? Je souhaiterai également l’aborder du point de vue des parents : comment s’organisent-ils et rythment-ils leurs journées ? En quoi ce choix peut-il (ou non) impacter la manière de vivre des familles ?
Il y a Vanessa et Jimmy qui vivent en bus avec leurs trois enfants. Ils sont itinérants. Dona*, qui élève sa fille et son fils en garde partagée avec leur papa en zone rurale dans le département de la Nièvre. D’autres familles viendront compléter ce reportage.
Je cherche à documenter d’autres modes d’éducation en France et à témoigner du lien avec le « dehors » ou la nature comme terrain d’expérimentation, d’apprentissage. A travers ces images, je souhaite aussi parler de l’enfance et explorer les liens familiaux.
Ce sujet en cours est développé en couleur et mêle à la fois le portrait, le paysage et des
scènes de vie.
Photographe indépendante, je suis membre du collectif Hors Format et diffusée par Divergence-Images. J’ai collaboré avec divers médias tel que : Mediapart, Hommes et Migrations, Like, Les Jours, Polka et Grouma Mag.
Mes reportages mettent souvent en scène des gens qui se retrouvent autour d’un élément fédérateur. M’inscrire dans un territoire fait partie de ma démarche pour élaborer des reportages sur le long terme.
Mon parcours m’a amené à pratiquer différents médiums et à nourrir un goût pour l’histoire de l’art, la photographie, le documentaire et les arts plastiques.
Je suis diplômée d’expression plastique de l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges en 2016 et quatre ans plus tard en photographie documentaire à l’EMI-CFD sous la direction des photographes Julien Daniel et Guillaume Herbaut.
FINALISTE DU PUBLIC : NANTÉNÉ TRAORÉ AVEC SA SÉRIE TU NE VAS PAS MUTER
Tu vas pas muter est un projet photographique et documentaire, débuté en avril 2021, et réalisé à l’argentique (35mm). Il vise à archiver les différentes manières de faire communauté au sein des parcours de transition des personnes transgenres hormonées, en s’intéressant au geste de l'injection hormonale - seul.e ou à plusieurs. L’idée derrière ce projet est de pouvoir regarder autrement ce geste médical, à priori sommaire, mais qui encapsule de multiples manières de renouer avec son image, son corps, et son identité, tout en partageant des espaces privilégiés avec les membres de sa communauté.
Au cours de cette dernière année de travail, j'ai pu suivre une trentaine de sessions d'injections. Après quelques mois, je renvoie les photos aux personnes que j'ai pu suivre dans leur transition et je les laisse se raconter. À chaque fois, ces témoignages me rappellent que l'on met tous et toutes quelque chose de différent à l'intérieur de nos injections - certain.es tiennent encore à la ritualisation des débuts, d'autres s'injectent entre deux rendez-vous, on commence en groupe et quelques mois après on préfère se retrouver seul.e avec soi même, ou, à l'inverse, c'est un moyen de voir ses proches régulièrement, prenant l'injection comme prétexte pour simplement se retrouver et discuter.
On ne s'injecte pas que des hormones, et ces textes témoignent des trajectoires diverses mais partagées de toutes ces personnes qui cherchent à se rapprocher de leur image, de leur corps, et de leur identité.
Le projet est né à Paris, lorsque j’ai moi même commencé ma transition médicale, et débuté mes injections de testostérone. Comme la plupart des personnes qui m’entourent, j’ai appris avec des vieux trans*, des personnes hormonées depuis plus longtemps, dans un contexte de soin et d’apprentissage intra-communautaire.
Très vite, j’ai pu assister à des apéro testo ou apéro oestro, où plusieurs personnes trans* font leurs injections toustes ensemble, et partagent un moment fort.
On comprend presque tout de suite que ces moments d’injection ne sont pas que des moments médicaux. On ne s’injecte pas que des hormones : c’est un moment où l’on en profite pour boire un thé et discuter, apprendre à se connaître, se poser des questions sur son parcours, parler de sa vie.
Les plus vieux/vieilles rassurent les plus jeunes, on apprend les techniques des un.es et des autres, et un espace de respiration se crée autour de ce geste médical, qui devient en réalité un geste d’amour.
Le verbe célébrer est régulièrement cantonné à son sens tiers, celui de fêter. Pourtant, en latin et même dans son premier sens en français, il signifie accomplir quelque chose de marquant, faire avec conscience, et répéter, à la manière d’un rituel, un acte important, solennel, grave.
Dans Tu vas pas muter, les célébrations ne sont donc pas des fêtes, à proprement parler, mais autant d’actes marquants, déterminants pour l’identité de dizaines de personnes, d’instants solennels, partagés autour d’un geste commun : celui d’une injection d’hormones.
On pourrait croire que ces multiples célébrations n’ont rien de festif, et pourtant elles parlent bien souvent de joie et de fierté d’être celui / celle qu’on est.
Par exemple, la fête de Simon, qui vient d’apprendre qu’on lui accorde son changement d’état civil, et qui organise comme acte satirique une gender reveal party. Aux murs, une banderole qu’il a mis des heures à accrocher, et qui annonce “is it a boy ? is it a girl ? it’s a mess !”.
Simon, hormoné depuis 2 ans et demi, fait toutes les injections de testostérone de son ami Lou, qui a débuté son traitement hormonal il y a 6 mois. Pour réussir à se “suivre” médicalement, Simon a tout simplement décalé de quelques jours la date de son injection, et toutes les deux semaines les deux amis se retrouvent pour partager ce moment.
"Cette série tu l'as appelée Simon célébrant Simon. C'était le soir après mon passage au tribunal pour valider mon changement d'état civil, on avait organisé une gender reveal party. Je crois que dans le fond, je m'en fichais que le F soit remplacé par un M sur mes papiers. La transition jusque là, ça avait été un processus solitaire, contacter un psychiatre, solitaire, aller chez l'endoc, solitaire,
remplir les formulaires pour le changement de prénom, solitaire.
Alors ce soir-là, c'était moins Simon célébrant Simon que Simon célébrant Simon entouré de celleux qu'il aime." (...)
Nanténé Traoré est photographe et auteur.
Après un DNAP aux Beaux-Arts de Nantes métropole, il s’installe à Paris, où il vit et travaille aujourd’hui.
Documentariste de l’intime, de la tendresse, c’est à travers le portrait, la rencontre directe avec les visages et les corps que s’exprime sa sensibilité.
Attaché au travail plastique, presque charnel, de la photographie argentique, Nanténé développe et tire l’intégralité de son travail en couleur et en noir et blanc, dans son laboratoire. Cette démarche lui permet d’être pleinement maître de son univers visuel, et d’explorer chimiquement les multiples possibilités qu’offre ses pellicules.
À la recherche d’une représentation juste des marges, son travail s’inspire de l’oeil discret du photographe Peter Hujar, avec lequel il partage ce même besoin de tendresse, d'empathie et de sincérité dans la relation au sujet photographié. Composant avec les corps et leurs lignes, la lumière qu’ils renvoient, son travail en noir et blanc ou en couleur s’attache à sublimer le quotidien des personnes qui passent devant son objectif.
Particulièrement sensible aux représentations spécifiques des personnes trans*, ses portraits se détachent de tout sensationnalisme, cherchant plutôt à partager une intimité délicate, un quotidien dénué d’artifices.
En parallèle, ses explorations colorimétriques et de mise en scène créent des séries oniriques, à mi-chemin entre l’esthétique futuriste de Bertrand Mandico et l’iconographie de papier glacé des photographes de mode des années 80. Obsédé par l’imagerie des icônes, il sublime des corps quotidiens, les faisant basculer dans un univers irréel, transformant ses modèles en personnages de fiction. “Je voulais raconter la vie de mes amis, car je pensais que nous étions des héros” : cette phrase que signe Gabriel Gauthier dans son roman Speed peut résumer ce versant du travail du photographe, érigeant en héros et héroïnes les modèles qu’il fait poser sous ses gélatines.
Ces deux axes de travail majeurs, celui de l’archivage et celui de la mise en scène, semblent se confronter tout en se nourrissant l’un et l’autre, cherchant tous deux à créer une documentation vivante du présent, et une nouvelle iconographie de l'intime.